mardi 4 avril 2017

Le jour où je me suis souvenue que j'étais handicapée !





Je sais que vous avez eu un peu de lecture cette semaine mais je ne peux pas ne pas vous raconter (c'est pas facile comme phrase, mais on est en fin de journée, début de soirée, et j'ai le débat politique (mais c'est pas moi que ça intéresse) en fond sonore alors je suis sûre que vous me pardonnerez...) les quelques jours qui viennent de s'écouler. 

En ce moment mes genoux ne sont pas coopératifs. (C'est leur droit mais bon moi en attendant, ça ne me simplifie pas la tâche). Du coup mon ami le fauteuil est de retour ! Et j'avais oublié Ö combien c'est fatiguant d'être en fauteuil. Alors je vous emmène dans mon petit monde à roulettes. 

Jeudi :

Comme tout un chacun j'ai besoin (parfois) de faire des courses. Oui ce n'est pas palpitant mais nécessaire. Je me rends donc dans mon magasin de proximité pour effectuer cette tâche ingrate. Je n'achète que quelques bricoles, en sachant que les grosses courses se réaliseront deux jours plus tard en compagnie de môssieur Clochette.

Alors je vais passer sur le côté non pratique des rayons et sur ce choix stratégique de placer les meilleurs aliments (en tous cas ceux dont j'avais besoin ) derrière un poteau... Mais pourquoi tant de haine ? Est-ce que vous trouviez trop facile de nous obliger à faire des créneaux pour atteindre certains rayons, qu'en prime vous avez eu une folle envie d'ajouter des obstacles ? Mon choix se restreignait de plus en plus, puisque les rayons les plus en hauteur et ceux les plus bas m'étaient inaccessibles. (Il y a une étude qui dit que le consommateur préfère les produits au centre des rayons... Mais on fausse les résultats là non ?)

Bref ! Mes roues et moi, on a décidé qu'il était grand temps de se rendre à la caisse. J'ai opté pour la caisse prioritaire non pas pour y passer plus rapidement mais surtout parce que ces dernières sont plus basses et plus larges que leurs voisines.
Je me place derrière deux personnes. Le monsieur devant moi me demande gentiment si je souhaite passer, je réponds par la négative et le remercie. Il insiste, je fais de même toujours très poliment. (J'ai pas de jambes toujours fonctionnelles mais il m'arrive d'avoir une opinion, un avis et du caractère). 
Soudain (Attention élément perturbateur, comme quand on était petit !) la caissière m'aperçoit. 
Elle me lance : (Oui bon ben vous avez l'habitude maintenant, vous le sentez venir le dialogue n'est-ce pas)
- Venez ! 
-  Non merci c'est gentil, le monsieur m'a proposé.
- Si venez ! 
- Non vraiment, c'est très gentil mais le monsieur n'a que deux articles, ça va aller, vraiment vraiment. (Oui j'ai dit autant de "vraiment" mais je le pensais alors bon...)
- Mais ! Vous êtes prioritaire ! 
- Oui je sais, mais ça va là. (Et si on pouvait passer à autre chose parce que ça me gêne qu'on fixe l'attention sur moi alors que je n'avais rien demandé à personne, et puis aussi parce qu'au final tout le monde aurait déjà été encaissé si on ne tergiversait pas depuis 5 minutes...)
- Mais enfin ! Je vous dis que vous êtes prioritaire alors venez ! 
J'ai craqué... J'ai essayé de résister poliment mais là ça commençait à me courir alors j'ai répondu :
- Etre prioritaire ne veut pas dire être obligée. Si je vous dis que ça va c'est que ça va, c'est très bien de faire attention aux priorités mais c'est bien aussi de respecter mon choix... 

Le monsieur devant moi a rigolé, la caissière a grommelé et elle a finalement abdiqué. 
Je ne suis pas super fière d'avoir formulée cette réponse mais ma patience est (aussi) limitée. La priorité j'en ai besoin quand je suis débout justement et qu'on ne le voit pas. Et ces fois là personne n'insiste pour me laisser passer (au contraire même). Et je déteste qu'on me force la main. Etre attentif c'est très bien, proposer aussi, mais qu'on m'oblige à prendre une priorité non. Ce n'est pas comme ça que ça doit fonctionner. Non je n'ai pas envie que vous preniez mes courses dans le panier sans me demander pour les placer sur le tapis parce que vous avez l'impression de me rendre service (oui c'est arrivé aussi cette semaine), non je n'ai pas envie de passer devant tout le monde si je sens que je peux tenir encore largement sur mon fauteuil.

Alors la caissière elle n'a pas dû super bien le prendre parce que mes articles elle n'a rien fait pour qu'ils descendent jusqu'à moi après, au contraire même. Une petite revanche sûrement ? Tant pis... 

Vendredi : 

Direction une boulangerie de quartier non accessible mais pour laquelle j'avais repéré une sonnette spéciale... Une pour L' "handicapé" qui veut appeler une "rampe"depuis l'extérieur. Je décide de tenter, enfin un commerce qui vise l'accessibilité et ça, ça fait plaisir. Fébrile, j'appuie. Rien. Je retente. Rien. Seule sur le trottoir j'attends.
Finalement la vendeuse (que j'aperçois) demande au client devant moi (mais lui était dans la boutique) de me demander ce que je veux. Le Monsieur fort sympathique commence son travail d'intermédiaire. 
- Mademoiselle, vous voulez quoi ? 
- Euh une baguette... Blanche s'il vous plait.
- (A la vendeuse) Elle veut une baguette... Bien cuite ! 
- Haha ! (La bonne blague, ah non non par contre c'était sérieux ?) Non non blanche !
- Ha pardon, elle a dit blanche la baguette. 
La vendeuse : Ok, elle veut autre chose ?
Le client :  Vous voulez autre chose ?
Moi: Euh... Non.
Le client : Non ! 
La vendeuse : 90 centimes ! 
Le client : 90 centimes ! 

Un vaudeville n'aurait pas été plus comique ! J'ai donc payé au client qui a été donner ma monnaie et qui m'a ramené ma baguette. Ils font des rampes superbes maintenant, ça ressemble vachement à un humain ! C'est bien ça a un côté plus... plus...

Oh puis je ne sais pas moi; que voulez vous que je vous dise si on en est encore là ?

Samedi matin : 

Avec môssieur Clochette on décide d'aller faire un peu de shopping. Direction un gros centre commercial. Nous arrivons dans une enseigne de vêtements sur deux étages. Pas d'ascenseur mais un élévateur (ce n'est pas la panacée mais c'est déjà très bien). Malheureusement ce dernier était inaccessible car un portant bloquait son entrée (je suis gentille j'ai fait une photo d'illustration).

 

 Alors oui, j'aurais pu demander si on pouvait décaler les vêtements pour que je puisse accéder.(Ou même m'en charger directement). Mais à dire vrai je ne suis pas certaine qu'il était en état de fonctionner car la porte était entrebâillée, et pour marcher (Haha, elle a dit "marcher" Marcel t'as vu ! En parlant d'un monte-charge pour des gens qui ne peuvent pas haha ! T'as vu Marcel ? ) ces petits bijoux de technologie attendent une aide humaine (en gros il faut rester appuyé sur un bouton tout le long de la montée et de la descente sans quoi vous restez pitoyablement arrêté en plein milieu... ce qui n'est pas franchement pratique ).

J'ai donc trouvé ça plus drôle de me poster au dessus des escaliers et d'attendre... Juste pour voir ! En tout 5 vendeurs sont passés devant moi, aucun ne m'a demandé si j'avais besoin d'aide. 

Alors oui je ne suis jamais contente, un jour je ne veux pas trop d'attention et le surlendemain un minimum, mais vous avouerez qu'il faudrait quand même trouver un juste milieu.
Du coup môssieur m'a envoyé des MMS depuis la cabine située à l'étage inférieur, pour partager avec moi ses trouvailles. C'est tout de même bien fait la technologie ! Dommage que personne n'ai jamais pensé à inventer un truc pour se rendre d'un étage à un autre sans passer par des escaliers... Ça c'eut été révolutionnaire !

Lundi et Mardi (Je regroupe par thème et non par jour sinon on ne va pas s'en sortir) :  

Bien entendu mon fauteuil me sert aussi à aller au travail (ben oui pour pouvoir générer des anecdotes en courses faut bien gagner sa croûte ! Enfin bien... Il faut quoi !) Et qui dit travail, dit trajets ! Et ça...
J'ai la chance de devoir prendre un métro et un bus. Un régal de chaque instant !
J'aimerais que l'on me présente le concepteur de l'accessibilité des transports. Quelle est l'idée de mettre des barres en plein milieu de l'unique entrée "accessible" ? Quel est le concept de placer dans le bus l'unique place réservée aux fauteuils, (mais aussi aux poussettes, aux bagages et tout autre objet encombrant) en angle droit sans aucun moyen de braquer ou contre braquer si une seule personne entre également dans le bus avec vous ? (Bon ok j'exagère, si deux personnes entrent...)
Les gens ne sont pas les plus conciliants avec ça et ont une image faussée du fauteuil. Ils pensent sans doute que j'ai l'âme d'un pilote... Mais non ! Je ne sais pas faire de loopings avec, je ne sais pas faire de figures incroyables. Et (notes pour vous même) si vous restez collés au fauteuil pendant que je me livre à une marche arrière périlleuse pour atteindre une rampe que le chauffeur oublie une fois sur deux de me dérouler, il y a de grandes chances que vous vous retrouviez avec des pieds en bouillis. (Car mon petit bolide pèse environ 150 kilos.)
Dans la même veine (pendant qu'on y est), non vous n'arriverez pas à le déplacer en tirant dessus, et non ça ne m'aide pas.(Car mon petit bolide pèse environ 150 kilos.) Enfin, je ne fais pas partie du mobilier urbain, il est assez désagréable de sentir un inconnu s'appuyer ou se servir de mon fauteuil comme d'une barre de métro. En équivalence c'est un peu comme si je m'accrochais au bras de mon voisin inconnu sans le prévenir... 

Le bus que je prends est souvent chargé le matin. Mais ce jour là particulièrement. Pas de chance, un jeune homme et son sac se sont placés sur le seul petit espace réservé pour les fauteuils. En me voyant je pensais qu'il se décalerait.. Raté. Je le regarde, il me regarde. Rien.

J'ai donc décidé de me mettre n'importe comment espérant le faire réagir... Mais non ! Et je n'avais pas envie de quémander, il n'avait clairement pas l'intention de faire preuve de bon sens... 

Le bus se remplit petit à petit et là un autre homme vient se "faxer" (il n'y a pas d'autre terme), entre le peu d'espace laissé entre mon fauteuil et la paroi du bus... Je sens que j'étouffe un peu... Assise, toute petite au milieu de tous ces gens inconnus... Mon espace n'est plus respecté, il est grignoté encore et encore. J'adresse à ma collègue un "Je vais galérer pour sortir"... Il rétorque "Mais non, je vais vous aider !" Mais m'aider à quoi ??? C'est un fauteuil électrique, à part en me laissant un peu plus d'espace il est impossible que vous puissiez m'aider. (Car mon petit bolide pèse environ 150 kilos. Je l'ai déjà dit ou pas ?)

Bref... J'ai galéré. Surtout que le chauffeur de bus a eu la merveilleuse idée de s'arrêter pile devant une poubelle pour descendre la rampe. Ca n'a pas marché. Il a redémarré. J'ai cru qu'il m'avait oublié (oui c'est possible ils l'ont déjà fait). Je l'ai alerté. (Aussi bien qu'on puisse le faire depuis la porte centrale, assise, sans aucun moyen d'apercevoir le chauffeur) Il a grommelé. Il s'est de nouveau arrêté... J'étais libérée.
Le soir, en prenant l'ascenseur qui menait au métro une dame est entrée avec ma collègue et moi-même. Sans un bonjour elle m'a dit " Sclérose en plaques ?" 
J'ai répondu non, et je suis sortie... 
Pourquoi ? Qu'est-ce qui intéresse dans ce que je peux avoir le temps d'un trajet d'ascenseur ? On ne se reverra jamais ! Est-ce que si j'avais dit oui, tu m'aurais dit " Oh pauvre petite, la nièce de la fille de ma voisine a ça aussi ?" ... Et ?? 
Et si j'avais dit non en développant, qu'est-ce que cela aurait changé ? 

Parce que je me suis dit que je n'avais pas suffisamment vécu de trucs fous dans ma journée j'ai été en ville. J'avais oublié le manque d'accessibilité des magasins. Sur les 4, aucun vraiment accessibles. Des rayons trop étroits, des gens trop cons (Ah non ça fait pas partie des critères ça ? Tant pis...) Des caisses, des cartons qui trainent... Exemple : (oui je suis tombée là dessus à l'ouverture de l'ascenseur, j'ai donc déduit que je ne devais pas descendre à cet endroit...) 

Puis à la caisse sur ça : (Elle était accessible avant qu'on y mette un portant à lunettes, un carton et un portant à roulette, et... un poteau ???)
 
 Ca laisse rêveur n'est-ce pas ? 

Bref je suis rentrée dans mon doux chez moi et j'avais mal à la tête. Là je me suis dit que si j'étais retournée dans mon commerce de proximité je l'aurais accepté volontiers sa priorité à Madame la caissière ! (Comme quoi tout est question de timing)











Enfin pour terminer cet article déjà bien trop long, je vais vous raconter l'histoire de ma vie au travail. (Enfin pas tout parce que quand même je vous aime bien et ça ne serait pas gentil de vous imposer ça). 

Ce matin avait lieu un petit déjeuner avec notre directrice générale. (Et j'ai vécu un moment d'anthologie) Je l'ai écouté raconter ô combien l'association avait de projets intéressants. Et ô combien le petit dernier l'était d'autant plus car il favoriserait l'autonomie des personnes handicapées tout en gardant un lien avec une équipe. Et que c'était important l'équipe pour des gens handicapés. Parce que quand on est handicapé on n'a pas d'ami. (Oui elle l'a dit) Et que si on voulait se faire des amis (je dis "on" parce que je me suis sentie concernée hein), ben on allait dans des lieux de passages, avec un pack de bières, et que ça se finissait dans des squats... Voilà. Ce sont ses mots... (Je vous laisse méditer là dessus, accepter ces mots avec bienveillance, toussa toussa...)
Ensuite, pour clore ces retrouvailles, elles nous a demandé à tous si nous avions des propositions pour améliorer la vie du siège. 
Au fond de moi j'ai pensé "un ascenseur qui marche". Ah oui je ne vous ai pas dit ? Je bosse dans une association accueillant un public en situation de handicap mais dont le siège n'est pas accessible. (JE vous avais dit que j'avais un grand sens de l'humour)
 Je suis obligée de faire le tour par un extérieur complètement défoncé (il avait peut être pas d'ami lui non plus pour finir comme ça). La salle dans laquelle se déroulait le petit déjeuner se trouvait au premier étage... Je suis donc montée avec ma canne (et le peu d'espoir dans ma poche).
Finalement les autres ont proposé : mettre en place un barbecue, des cours de taï-chi, de sport... 
Et puis quelqu'un a dit : Un ascenseur ? (Non ce n'est pas moi !) 
La réponse ne s'est pas fait attendre "Oh mais arrêtez avec cet ascenseur, je dépense 5000 euros pour qu'on l'utilise quoi ? Deux fois par an ? On en n'a pas besoin..."
Ah ben oui, après tout vous n'avez pas de salarié en fauteuil n'est-ce pas ? Pas d'usagers qui souhaiteraient venir sans doute quelques fois ? Pas de difficultés majeures en somme de ne pas pouvoir accéder à tous les étages du siège et notamment la salle de repas ? 
Oh mais suis-je sotte, je ne mange pas et en plus je n'ai pas d'ami... 

Allez un pack de bière et on en parle plus... Ah non je suis handicapée; l'alcool il ne faut pas c'est bien ça ? Alors un panaché fera l'affaire ! C'est ma tournée !...Et puis ben des Curly !





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